Wynwood, Miami, USA

21 janvier 2017
Miami, USA
par Jessica Valoise

En déplacement à Miami chez Axel Void pour l’aider au montage de son documentaire « POLAND », je me devais d’aller visiter Wynwood. En fait, je ne « me devais » pas, mais malgré la problématique sociale et éthique qui se pose, j’avais très envie d’y aller et de voir de près, ce qui de loin me paraissait être une galerie d’art géante à ciel ouvert.

J’ai d’abord tourné un peu autour, avant d’aller dans l’espace « Wynwood Walls ». De manière générale, les murales sont vraiment belles, que ça soit à l’intérieur ou à l’extérieur. Certains de mes artistes favoris sont là, Findac, Alexis Diaz, Shepard Fairey… mais pourtant, aucune murale ne me saisie. Vous savez, celle qui vous surprend, qui vous fait réfléchir, qui vous choque, qui vous subjugue… Celle que vous ne vous attendiez pas à voir, là. Esthétiquement, c’est objectivement beau, mais il manque quelque chose. De la substance. Toute murale ne doit pas nécessairement avoir un fond, mais lorsque l’on se trouve dans une place où il n’y a que ça, on frôle un peu l’overdose. Pour ma part, je n’arrive pas à apprécier ce genre de sur-stimulation visuelle.

En fait, j’ai eu l’impression d’être dans un parc d’attractions de murales… D’un côté, on pourrait effectivement voir ça comme une galerie géante à ciel ouvert. Mais d’un autre côté, il est difficile d’y apprécier le street art. Je veux dire que par essence, le street art ne peut être tenu en captivité, de cette manière. Il ne suffit pas au street art d’être peint dehors pour être du street art…

Mais en plus de cette appréciation en surface, Wynwood a une face cachée.

Nous sommes dans les années 1950 quand un nombre important de Portoricains immigre à Wynwood en tant que travailleurs dans les usines du quartier. Ils deviennent rapidement propriétaires des restaurants, boutiques, marchés et autres commerces des rues du quartier, qui bientôt se fera appeler « Little San Juan » ou « El Barrio ». Puis, 1970 : fin de l’âge d’or industriel. Les usines ferment et le quartier devient une zone désaffectée, laissant rapidement place à la violence et au trafic.

2005, le quartier attire de nouveau l’attention : les entrepôts abandonnés commencent à être occupés par des restaurants, des cafés, des lounges, et des artistes qui s’expriment sur les murs.

2009, le Wynwood Arts District prend forme. Tony Goldman, promoteur immobilier, achète de nombreux édifices, et invite des street artistes du monde entier à venir les décorer – murales dont il sera aussi le propriétaire. Il crée la Mecque du street art, le Wynwood Walls, une des plus grandes expositions de street art au monde – dans le cas où on le considère comme du street art.

2012, le nombre de galeries d’arts, de restaurants, de bars, de boutiques de luxe, explose dans le quartier, attirés par la frénésie entourant les murales. Fortement ciblé par les investisseurs et promoteurs, le prix du loyer flambe, la communauté Porto-ricaine alors résidente ne peut plus se le permettre. Les propriétés sont rachetées, les Porto-ricains chassés.

2016, après l’art et le commerce, Wynwood modifie les règlements de zonage de quartier pour le densifier, accueillir de nouveaux immeubles, et ainsi de nouveaux résidents. L’intention est d’en faire un milieu de vie, un véritable « village ».

Voilà ce qu’on appelle la gentrification.

Certains artistes, comme Axel Void, refusent, pour toutes ces raisons, d’aller y peindre. Selon moi, un artiste ne se doit pas d’être engagé, mais je pense qu’il se doit d’être responsable, et cohérent au maximum. La question que je me pose alors est : quelle est notre responsabilité en tant qu’artiste?

D’un côté, Wynwood est une formidable avancée dans la vision du street art, qui peut d’un coup le rendre plus accessible aux personnes non familières avec cette forme d’art, ou qui ne s’en sentent pas du tout proches. Puis ça nous donne aussi du travail. Que ça soit pour les artistes directement, ou pour les co-acteurs du mouvement.

D’un autre côté, les créateurs de ce quartier ont-ils réellement une affection, une passion pour l’art? Et de même les visiteurs, ont-ils une réelle appréciation et compréhension de cet art, étant donné que l’essence même du street art est perdue? L’art n’est-il pas ici entièrement au service du business? Par la même, ne participe-t-il pas, directement ou indirectement, à la gentrification, et donc, à l’exclusion d’une partie de la population de Wyndood?

« Vote Graffiti. Everybody wins ». Votez graffiti. Tout le monde gagne.

© 2017 Art is the Message, par Jessica Valoise – Les photos publiées ne sont pas libres de droit. Le téléchargement, la diffusion, reproduction, distribution, communication des images ne peut s’effectuer qu’avec mon accord. Pour toute information, booking ou achat de photographies, merci de contacter François Simard – fsimard@hahaha.com.

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